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Trois questions à Dany Baillargeon sur l’intelligence artificielle et la création

Le nouveau robot conversationnel ChatGPT à intelligence artificielle et les outils de génération d’images comme DALL-E 2 nous bousculent, nous fascinent et préoccupent les milieux de la création et de l’enseignement. Ces super-cerveaux redoutablement efficaces sonnent-ils le glas de la créativité humaine?

Nous avons demandé l’avis éclairé du professeur de communication Dany Baillargeon sur cette révolution aussi dérangeante qu’emballante.

Le professeur Dany Baillargeon enseigne au Département de communication de la Faculté des lettres et sciences humaines. Ses intérêts de recherche sont à la confluence de la créativité, des organisations et de la communication organisationnelle et publique.

L’intelligence artificielle peut-elle être plus créative que les humains?

Pour répondre à cette question, il faut d’abord définir ce qu’est la créativité, nous dit le professeur Baillargeon. « Il faut commencer par distinguer la créativité pratique, celle qu’on utilise pour développer des nouvelles technologies, des innovations, des nouvelles solutions à des problèmes, et la créativité qu’on pourrait dire artistique. Dans la créativité pratique, on définit quelque chose qui est créatif par son originalité, sa pertinence. Une innovation est originale si personne ne l’avait inventée avant, et pertinente si elle répond véritablement à un besoin. Là-dessus, l’intelligence artificielle va être extrêmement performante parce qu’elle va être capable rapidement de repérer tout ce qui existe. »

« Pour ce qui est de la création artistique, le processus de création d’un artiste part d’un mouvement, d’un mouvement personnel, d’un mouvement spontané. Mais ce mouvement, l’artiste va le mettre en œuvre à travers des matériaux ou à travers des méthodes, des techniques, des inspirations, donc une forme créatrice. »

Or le processus créatif ne s’arrête pas au simple fait de créer l’œuvre, nous dit Dany Baillargeon. Celle-ci doit être « éprouvée » par un public qui l’interprétera, avec sa propre expérience de l’artiste, de l’œuvre, de son contexte.

Créer une œuvre artistique, c’est une chose. Mais après, il y a l’expérience de cette œuvre par un public. Alors s’il y a une œuvre qui m’émeut, qui me touche, qui me choque, ça fait partie de l’existence de l’œuvre. Est-ce que l’intelligence artificielle va être capable de générer cette émotion-là?

Est-ce que les robots vont tuer les artistes?

« Comme dans toute évolution technologique, il va y avoir un changement dans les façons de faire. Déjà, on sait qu’il y a des artistes qui, dans leur processus créatif, intègrent l’intelligence artificielle. »

Ce qui l’inquiète davantage, c’est l’art qui se consomme en solo : la lecture, la musique, un certain type d’œuvre d’art, parce que l’intelligence artificielle à moyen terme sera capable de générer ce type de création avec exactement les paramètres souhaités. « Si on s’en tient juste au résultat, ça se pourrait que l’intelligence artificielle tue certains métiers. »

Ce qui joue encore en faveur des artistes, selon Dany Baillargeon, c’est la création dans les arts vivants, donc toute forme d’art qui demande la coprésence d’humains, la danse, le théâtre.

Le rempart que l’humain a, c’est de favoriser des expériences artistiques. Si, en tant que compositeur, par exemple, j’amène mon œuvre dans une salle de spectacle avec un orchestre, que je vis quelque chose avec le public, cette connexion entre l’humain qui a créé la pièce, les musiciens qui la jouent et le public, l’expérience collective qu’on va vivre sera différente de celle que je vivrais seul chez moi.

Aussi, soutient-il que l’art « humain » devra de plus en plus s’intéresser à l’expérience de l’art lui-même, qu’importe le médium.

Quelle est la différence entre la créativité des robots et celle des humains?

« Un processus de création, c’est toujours de la divergence et de la convergence. Je me mets en processus de création, je sors plein d’idées qui s’en vont dans tous les sens; ça c’est le principe de divergence. Puis je sélectionne les meilleures idées qui répondent à mon intention ou à l’innovation que je veux faire. La divergence va toujours être plus grande chez l’intelligence artificielle que chez l’humain. »

C’est dans le processus de convergence peut-être que l’étincelle humaine sera intéressante. N’oublions pas que l’intelligence artificielle va toujours aller chercher une forme de consensus, de généralité.

L’humain pourrait donc s’intéresser plutôt à ce qui est différent, ce qui est original.

Le professeur Baillargeon nous rappelle l’arrivée des moteurs de recherche qui nous permettaient tout d’un coup d’accéder à n’importe quelle réponse sur n’importe quel sujet. Pour le milieu de l’enseignement par exemple, le défi est de transcender la simple information.

« Ce qui fait la différence, c’est ce qu’on en fait et comment on est capable de discriminer cette information par rapport à notre propre expérience. La façon d’enseigner dans un contexte d’intelligence artificielle, c’est d’enseigner non seulement la connaissance, mais l’expérience de cette connaissance. »

La connaissance pour la connaissance, ça ne sert à rien tant qu’on ne l’éprouve pas, tant qu’on ne la met pas en relation avec d’autres choses.

Publié à l’origine par: https://www.usherbrooke.ca/actualites/nouvelles/details/49302